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(TA) Le commencement

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K-Zlovetch's avatar
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Frêle. Tremblant. Déboussolé. Perdu. Triste. Seul. Affligé. Enragé...

Ses parents ne pouvaient pas tenir longtemps face au Phoenix... Que pouvaient faire deux non-magiques devant les membres du gouvernement de toute manière ?

"Va-t'en, vite ! Ils sont ici !" avait hurlé son père qui n'avait eu que le temps de se ruer dans les marches de l'escalier étriqué menant à sa mansarde, une grande pièce sous les combles décorée d'autant de livres qu'elle pouvait en contenir. Sans une dernière étreinte, l'homme avait délivré son message puis était redescendu aussi sec.
Viktor tourna un moment sur lui-même en détaillant l'endroit, respirant fort afin d'essayer de rester le plus lucide possible. En urgence, il s'empara d'une écharpe écarlate ainsi que d'une besace en cuir acceptant magiquement tout ce que l'on pouvait y fourrer ou ce qui était à portée de main. Ceci fait, le garçon brun avait tout directement filé par la lucarne en s'y hissant de son mieux à l'aide d'une chaise collée contre le mur lui permettant de l'atteindre.

Tout ça sans se retourner une seule fois.
Jamais.

Dans la panique immédiate, poussé par l'ordre tutélaire qui interdisait la moindre protestation, il avait oublié ce que sa fuite précipitée signifiait. Maintenant qu'il courrait sur les toits, agile comme un petit cabri et sa sacoche cognant contre ses cuisses, son cerveau maltraité se remettait en marche à grand renfort de cahots affolés.
Cette humble maison ne serait plus jamais la sienne. Il ne reverrait plus jamais son père ni sa mère. Désormais... il était seul, absolument seul, ne pouvant en aucun cas faire marche arrière, sous peine de servir de rat de laboratoire devant des Analystes avides de décortiquer le secret de son Don... ou bien pire.

Passée cette rangée de cheminées fumantes, il serait sûrement orphelin.
Et il la passa.

Un pain de glace descendit douloureusement le long de son œsophage pour se fracasser dans son estomac. Il perdit momentanément l'équilibre, parvenant à se rattraper avec habileté à l'un des puits perchés marquant la limite entre son ancienne vie -étrange mais tranquille- et celle -beaucoup trop incertaine- qu'il allait commencer. Qu'il venait de commencer en fait.
Une tuile mal scellée profita de son émoi pour se détacher et, pris de panique, le jeune homme fit un bond de côté pour reprendre sa course de bouquetin, se souvenant qu'il ne devait pas traîner. Il n'était plus qu'une proie. Un gibier curieux, facile et inexpérimenté qui -et ce malgré l'immense pouvoir qui logeait en lui- ne pouvait tenir efficacement tête à tout un groupe de mages puissants et déterminés sans risquer de commettre de très graves et surtout indésirables dégâts.
Pourtant... ne disait-on pas qu'il fallait combattre le feu par le feu ? Quoi de mieux qu'une fournaise pour rôtir un phénix totalitaire bien trop arrogant ?

Il venait tout juste d'avoir dix-sept ans, n'était pas vêtu assez chaudement, n'avait pas assez mangé ce matin et portait un catogan mal attaché qui enserrait l'éclipse lui servant de crinière.

Si elle réduisait sa vision, sa frange assurément trop longue l'empêchait néanmoins de recevoir les flocons glacés dans ses yeux aussi noirs que sa toison. En effet, le ciel s'allumait d'une parfaite couleur perle, tellement lumineux dans sa froideur pâle que l'on discernait très mal les paillettes d'hiver pourtant plus sombres qui en tombaient encore mollement, virevoltant comme des petits confettis rendus gris en pleine chute sur terre.
Le fugitif laissa une de ses paumes brûlantes passer devant son visage alors qu'il courrait toujours à en perdre haleine : aucun grumeau hiémal ne pouvait s'y poser sans fondre instantanément sous la chaleur infernale qui en émanait. Sa magie unique -magnifique autant que dévastatrice- tentait de s'échapper elle aussi, animée par le brasier du désespoir et de la colère. Il devait se contrôler.

Que faire ? Où aller ? Il n'avait plus personne ici en dehors de tante Lana qui habitait bien trop loin. De plus, le garçon ne pourrait pas quitter la capitale si facilement à présent qu'on le recherchait.
L'encéphale aussi engourdi que ses jointures maltraitées, il agrippa une gouttière et s'en servit pour retrouver le plancher des vaches, même si des vaches, dans les banlieues de Sofia, on n'en croisait pas si souvent que ça. Sa course continua à travers les rues qu'il connaissait par cœur même s'il n'était pas véritablement sorti depuis des lustres. Gauche. Droite. Droite encore après cette boutique à l'enseigne penchée. Qui avait pu donner son signalement ? Personne ne savait qu'il possédait le Don en dehors de ses géniteurs et de son mentor, Grigori Dvorianov.

Il n'en pouvait plus.

Sans même prendre la peine de reconnaître le lieu exact, le tout jeune sorcier fit une halte au beau milieu d'un trottoir peu fréquenté, les mains sur les genoux pour tenter de reprendre rapidement son souffle.
Les rares passants -tous emmitouflés dans des manteaux épais ou à demi-dissimulés sous des bonnets- le dépassèrent en lui lançant un drôle de regard surpris : sortir dehors par ce temps seulement vêtu d'un bête pull, ça n'était vraiment pas très futé. Il faisait approximativement -1° et l'adolescent allait indubitablement prendre mal sans tarder s'il comptait aller plus loin, surtout en courant comme un dératé sur les toits ou face au vent glacial qui s'engouffrait sournoisement entre les bâtiments. Néanmoins, l'intéressé s'en fichait royalement et ses paluches chaudes fourrées dans ses poches diminuaient de ce fait la morsure du méchant froid de décembre.
Tandis qu'il réfléchissait à toute allure, pas certain de savoir qu'elle était sa véritable émotion présentement -ni même si c'était une émotion en fin de compte- il regardait passer les voitures qui avançaient plus ou moins rapidement sur la route. Les conducteurs bulgares n'étaient pas toujours réputés pour avoir une conduite prudente et sauf si on suivait une vieille Lada repeinte peinant à dépasser les 30Km/h en descente, une minorité très visible aimait à prendre des risques. L'hiver n'était qu'une broutille pour les fous du volant locaux avides de dépassements pressés et dangereux.

Sa baguette magique dormait dans sa sacoche, cachée, car même si ce pays était presque le dernier du globe où les sorciers pouvaient circuler librement, il ne tenait pas vraiment à la sortir pour montrer aux autres qu'il faisait partie de cette espèce-là... de cette "caste".
Toutes les nations possédaient deux gouvernements : celui officiel et un autre secret ("Alternatif" comme on disait) et plus ou moins grand et important en fonction de la concentration de mages sur le territoire. Mais la Bulgarie actuelle avait cette particularité qu'elle était la seule à vivre sous dictature magique.
En effet, le Gouvernement Alternatif avait pris le pouvoir par le biais du Phoenix et était devenue une démocratie de façade qui avait inversé les rôles, car ici, c'était bien les sorciers qui dominaient malgré qu'ils ne soient jamais aussi nombreux que les non-magiques. De plus, ils avaient une protection de choix pour garantir leur tranquillité et faire ce qu'ils voulaient du pays : la barrière de la rationalité moderne. Ailleurs, on disait en riant si on posait la question : "La magie, ça n'existe pas voyons !"

Alors elle n'existait pas.
Sauf ici.

Pour le reste du monde -l'hémisphère nord surtout- c'était devenu une blague, un mythe. Dans les temps anciens on craignait autant qu'on respectait la magie : de par sa puissance et sa rareté elle était souvent associée à un cadeau des dieux car elle pouvait soigner, aider ou même tuer. Cependant, à cause de l'évolution technologique, et parce que la majorité ne naissait pas avec... elle ne devait pas être. Plus être.
Les gens étaient toujours rapidement effrayés ou jaloux de ce qu'ils ne pouvaient posséder ou comprendre et aimaient mieux détruire ou oublier pour se sentir en sécurité dans un monde carré, rationnel, maîtrisé. Même la nature finissait dans une cage trop petite qu'elle brisait quelques fois pour rappeler qu'elle ne pouvait pas se laisser dompter si facilement. C'en était de même avec les magiciens qui, lassés de ne pas avoir à exister, avaient profité de la Guerre Froide pour monter au pouvoir ici.

Qui se souciait de ce que devenaient les vieilles dictatures de l'Est ? Personne. En conséquence il s'y passait toutes sortes de choses. Puisqu'en dehors des Gouvernements Alternatifs respectifs aucune autre nation n'était véritablement au courant, rien ne bougeait réellement et le Phoenix s'amusait à répandre la terreur depuis près de vingt ans.
Il y avait bien entendu une opposition interne, mais les armes n'étaient pas vraiment égales et les rares sorciers qui avaient décidé de crier à l'injustice en se plaçant ouvertement contre le système étaient traqués, trop peu nombreux pour tenter des actions concrètes autres que des petits sabotages ou des sauvetages d'ennemis politiques.
Grigori Dvorianov était un de ces Résistants et c'était pour cela que ses parents avaient fait appel à cet homme pour lui enseigner la maîtrise du Don dans l'ombre du gouvernement corrompu. La magie du fils Kravsanov était unique. Un pouvoir stupéfiant que nul n'avait vu et qu'il ne pouvait apprendre contrôler seul. C'est d'ailleurs pour cela qu'il se retrouvait dehors dans le froid, uniquement habillé d'un tricot vert bouteille et d'une écharpe cramoisie claquant dans son dos, de même que ses longs cheveux de nuit déchaînés presque entièrement détachés par sa galopade.

"Zdouing." Une bourrasque termina de faire sauter l’élastique de sa simili-queue de cheval.

Le slave perdu se redressa enfin pour reconnaître la rue dans laquelle il se trouvait. En passant une main tiède dans sa tignasse agitée, il constata qu'il avait perdu son attache et se pencha pour la ramasser, trouvant du même coup dix Leva sur le sol qu'il récupéra dans le mouvement. Il fit tourner la jolie pièce entre ses doigts, se souvenant brusquement qu'il n'avait pas vraiment d'argent : comment allait-il faire pour survivre seul ? À moins que...
Il se tourna pour regarder enfin derrière lui. Et s'il retournait chez lui ? S'il tentait ? Ils n'étaient peut-être pas morts après tout. Son père et sa mère étaient assez malins pour parvenir à fuir plutôt que d'avoir la bêtise de tenir tête aux sorciers armés. Oui. Voilà. Ou alors ils étaient en train de batailler et avaient besoin de son aide ! Il fit un pas en avant, puis un autre en arrière avant de laisser une larme courir le long de sa joue gelée.

Le vent siffla.
L'unique larme givra.

Ses cheveux le chatouillaient désagréablement et le mage fourra la piécette dans sa poche pour les ré-attacher de ses deux mains afin de mieux réfléchir. Sauf que cela ne changea strictement rien. D'ordinaire lorsqu'il dégageait son visage, cela l'aidait à se concentrer et il trouvait plus facilement une idée intéressante ou retenait bien mieux une leçon. Cela était-il seulement valable dans une telle lamentable situation ? Il se sentait bien plus petit qu'il ne l'était et percevait d'autant plus difficilement sa quasi-majorité légale.

Le bout de la rue d'où il venait ne montrait rien d'autre qu'un pan de ville occupé à affronter l'hiver, mais pour lui, y retourner c'était faire face à la Réalité. Et cette dernière s'amusait beaucoup. Il l'entendit rire à son oreille, lui murmurant que c'était ainsi parce qu'il n'était qu'un tout petit atome très lâche, incapable de se rendre utile. C'était lui qui avait causé la perte de ses parents en ayant la bonne idée de naître en exception magique dans un pays qui l'était également, obligeant ainsi père et mère à se confronter à la dictature du Phoenix en devenant Résistants à leur insu au lieu de seulement faire profil bas comme tous les autres non-magiques qui n'avaient pas vraiment la possibilité de fuir le pays.
Se calmer. Faire le vide et chasser cette voix insupportable. Le plus agaçant c'est que rien autour de lui ne reflétait sa propre angoisse épouvantée : les badauds passaient, le compte à rebours du feu tricolore annonçait qu'il allait passer au vert, la vie continuait et personne ne courrait en criant que le monde était en train de basculer. Car le monde se portait très bien, il n'y avait que le sien tout insignifiant qui venait de prendre fin brutalement. Pas de quoi baliser.
Ho, comme le pauvre garçon désirait voir quelqu'un réagir ! Il y avait bien une âme pour se rendre compte qu'il allait mal et qu'il demandait de l'aide, non ? NON ? JE SUIS TOUT SEUL ! Avait-il envie de hurler mais c'est à peine s'il remua les lèvres presque scellées par le froid. Et nul ne nota ce cri de désespoir silencieux.

Lors, il décida de fuir en avant.
FR only for now, I'm very sorry :/

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Viktor Kravsanov - TOUS LES TEXTES
OEtherium - TOUS LES TEXTES

Jeunesse de Viktor :
1) (Intro) Vitia
2) Le commencement
3) Vodka et Kozounak
4) Krajno Mesno
5) Le lion est mort ce soir

Viktor et Perséphone :
1) Le Styx londonien
2) The first last tea
3) La reine des Enfers
4) (Conclusion) The last first tea

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Petit bout de texte rédigé comme ça (qui va sûrement appeler une suite quand j'aurai retrouvé la Force) et qui est plus ou moins une suite à ce texte : fav.me/d6q5oqs

Bonne lecture !

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TA : Textes Annexes
AVOE : Avant l'Œtherium
OE1 : Œtherium
OE2 : After Œtherium

Join our group :iconoetherium:

PS : Merci à :iconkaelmn: et :iconbianca-di-palermo: pour la relecture !!
© 2014 - 2024 K-Zlovetch
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Pipix21's avatar

Aaah enfiiiin le passé de Viktor !!! A moi le savoir !!!

Pauvre gamin. Livré à lui même comme ça ToT

C'est intéressant ce contexte de dictature magique ! Hâte d'en savoir plus et aussi de mieux comprendre le Don de Viktor !

Cool cool j'ai plein de lecture en attendant le prochain épisode de l'Oetherium !!

Et je le redis mais t'écris trop bien !! ToT